jeudi 10 novembre 2011

Mutisme et lieux qui manquent




Comme quelquefois…

Comme quelquefois, dis-je, non parce que l’adverbe aurait vraiment sa place pour indiquer une fréquence, comme on l’utilise usuellement dans le langage, mais plutôt par aveu de reconnaissance de certaines choses dont je suppose alors qu’elles sont déjà survenues, sous une forme ou une autre, au vu de similitudes presque imperceptibles, un déjà vu dans la recomposition en cours… Un quelquefois hypothétique, et le renvoi analogique mériterait précision…

C’est en fait que la cacophonie se déroule, en ce moment précis, alors que le silence englue un corps prisonnier du chaos. Une cacophonie organisée, polyphonique, dialogique, polymorphique. Et ce silence métallique...

Les mots s’enchaînent, et la forme transitive disparaît, les mots enchaînent à l’intérieur d’un esprit qui se referme, qui construit des barrières entre son espace de mouvement, et celui du monde…non en y imposant un milieu, une matière qui fasse l’entre-deux, supposant toujours un lien, mais plutôt en changeant de nature… En y opposant une différence fondamentale de qualité, dimension essentielle… et se regarde opérer en ricanant mollement…

La forme transitive n’est plus seule. Il regarde les mondes. Il superpose la vision de lui-même et de son œuvre en cours, celle des mondes, de leur description et du mouvement du tout, variant les points de vue. Ces mondes qui continuent à se mouvoir, à s’écouler, mais beaucoup moins vite que leur description, et de manière moins déterminée, surtout… Le visage lui-même s’accomplit à se durcir, figeant son expression, son inexpressivité, brouille les images qu’offrent deux billes floutées.
Mais qu’importe. À présent, plus rien ne semble avoir d’importance, ou bien peu de choses, seul l’essentiel en fait, dans l’hyperréalisme ambiant. Remarque, c’est ce qui compte, dit-on, d’aller à l’essentiel. Contre les détours esthétiques et les lignes courbes qui n’existent que pour elles-mêmes, contre les détails dissonants et contretemps qui rappellent irrémédiablement une infinité de vues de l’esprit concernant la condition humaine…

Comment tout cela a-t-il pu arriver ? Il y a quelques jours encore, les actions s’ affairaient à se réifier, en riant, en espérant des lendemains qui honorent la volition. Il y a encore quelques jours, la puanteur d’un pourrissement tenace ne gagnerait jamais…

Jusqu’où l’enfermement peut-il aller? Jusqu’où la séparation d’avec le monde peut-elle être simulée, inventée, avant de frôler la folie, la maladie mentale ? Le silence est si lourd que cela en devient confortable, couette épaisse et chaude qui recouvre un corps glacé…
… et la bouche qui se ferme irrémédiablement, comme si plus jamais aucun son n’en sortirait, plus jamais…

Le scalpel fait son effet, ôte les ressources du désespoir. Mise à distance chirurgicale. L’esprit se dilate, feint la drogue ou la maladie, le tout dans un lieu qui n’existe pas. Tout semble étranger ici, à présent. Plus rien n’est familier, bien que connu. Où est la place de soi ?
Le monde est à distance.
Tu es un étranger, aussi.
Les traits de ton visage eux-mêmes semblent avoir changés.
Dans l’immobilité d’un corps anéanti, l’extrême lucidité d’une larme affûtée parcourt les champs analytiques d’un monde devenu objet, d’un Autre devenu objet. 
Je ne te reconnais plus…
Comment pourrai-je te parler à nouveau ?
Comment pourrai- je reparler un jour ?

Il faudrait briser tout cela, mais les muscles tendus de la mâchoire enserrent toute possibilité, les mots de l’intérieur ont enchaîné le corps aussi, ces mots analytiques qui dichotomisent le monde et imposent le silence partout ailleurs, la mâchoire durcie se briserait… Comment peut-on parler si la mâchoire est brisée ?

Je te regarde revenir de je-ne-sais-où, de ce je-ne-sais-où viral qui m’a engluée, je vois ta main se poser sur mon corps, et ce mouvement est aussi séparé de moi que si tu touchais un objet. Tu es d’ailleurs devenu de cire bien avant moi, tu es devenu l’Autre qui te sépare, et pose ta main comme objet qui touche un corps, sans savoir comment rembobiner le film, sans qu’aucun signe ne préfigure qu’une quelconque émotion ait un jour existé. Mon corps est lui-même devenu autre, je ne peux plus bouger. Seulement attendre et regarder à travers cette image floue, un objet main qui touche un objet corps, immobile et silencieux mouvement. Et la télé qui observe la scène… Comme toujours…
Seulement attendre… De l’arbre de choix, retenir le statut quo, jusqu’à ce que quelque chose survienne, jusqu’à ce que quelque chose se brise… La mâchoire, ou autre chose… jusqu’à ce qu’un événement crée une bifurcation.

Comment faisaient-elles, ces actions -lorsqu’elles le faisaient, avant- comment faisaient-elles pour réifier ces mondes possibles, ces lieux chauds, ronds, paisibles,  ne surprenant la volition que pour la moquer quelque peu, lui arracher un sourire, un renoncement à fermer les mondes, comment faisaient-elles ? Les lieux aimés, visités, sont-ils si éphémères ? La description par les mots de l’intérieur, la description rationaliste qui raille déjà qu’elle l’avait bien dit, doit-elle se dérouler dans un corps immobile comme un fléau incurable ?

Les lieux me manquent…
Les mots, aussi.  Curieusement…

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